Le S€PA vient de souffler sa première bougie
Le S€PA vient de souffler sa première bougie… enfin, si l’on tient compte que la End-Date au 1er février 2014 ait été le véritable lancement du programme S€PA et que l’on oublie le report du 1er août 2014, si bien vu par notre ex-Commissaire européen en charge du marché intérieur et des services, Michel Barnier. Lui, visiblement, avait fait fi des tergiversations des prestataires de services de paiements qui se déclaraient prêts et ne comprenaient pas le sens d’un tel report, mais qui par la suite ont été bien heureux de pouvoir s’enquiller 6 mois de plus pour fiabiliser leur organisation, leur système d’information, leur communication (si, si, il parait que certains d’entre eux en auraient commise !). Donc, aujourd’hui, 100 % des flux sont full compliant S€PA et tout flux de paiement depuis son initiateur jusqu’à son destinataires se doit d’être full ISO 20022.
Vaste plaisanterie, si l’on est optimiste ;
vaste utopie, si l’on est pragmatique.
Suivons l’un d’entre eux depuis sa génération jusqu’à l’imputation sur le compte du récipiendaire.
Imaginons une entreprise qui remette ses flux de paiements à son prestataire de services de paiements. Elle déverse ses ordres de paiements, tels qu’ils étaient avant le S€PA, sur une plateforme/un outil de migration de l’ancienne norme nationale vers la nouvelle norme S€PA. En somme, elle a fait du S€PA à peu de frais, laissant la part belle à des convertisseurs, EAI, voire, pour les plus évoluées à quelques ETL. Toujours est-il que son flux est émis en pain.nnn (PAyment INitiation), la base du S€PA.
Son prestataire de services de paiements l’acquiert. La première chose qu’il fait est de le transcrire dans une norme interne basée sur l’ancienne norme nationale, avec quelques spécifications propres à son organisation. Nous en sommes déjà à deux conversions de formats : 1 chez le grand compte et l’autre chez le prestataire de services de paiements.
Nous en sommes déjà à deux conversions de formats : 1 chez le grand compte et l’autre chez le prestataire de services de paiements.
Plus l’architecture du SI du prestataire de services de paiements est ancienne, plus le flux acquis va être accommodé afin qu’il colle au plus près de l’organisation interne dudit prestataire. On peut compter entre une à deux autres conversions, facilement. Une fois tous les contrôles vérifiés, certifiés, il faut présenter le flux à l’interbancaire. Là on appareille une dernière fois le flux avec ce qui ressort du gymkhana qu’il subit tout au long d’applications multiples, sans aucune notion du plus élémentaire Straight Through Processing : on y va étape par étape.
Ce flux se retrouve aux normes ISO 20022 et répond à une appellation PACS pour PAyment Clearing and Settlement, autrement dit, « paiement, compensation et règlement ». C’est lui qui est échangé via les systèmes de compensation, les CSM, Clearing and Settlement Mechanisms, jusqu’au prestataire de services de paiements du destinataire. Celui-ci, ayant suivi la même philosophie dans l’appréhension du S€PA, va le décortiquer afin de le rendre conforme à son organisation interne. Les informations, initiées par l’émetteur à destination du bénéficiaire, retrouvent le plus souvent le formalisme franco-français : un libellé sur n lignes de 35 caractères, mais pas les 140 caractères, comme le décrit la norme ISO 20022. La End to End Id, référence de bout en bout, lien véritable entre l’origine d’un paiement et sa destination, si le prestataire initial l’a autorisée, et/ou, ne l’a pas forcée à « NOT PROVIDED », quand bien même son client l’aurait renseignée, arrive parfois à surnager, mais elle a bien du mérite.
Tout ceci est malheureusement la stricte vérité... l’une des thématiques des missions la plus récurrente est de se dire "Ok ! J'ai installé une solution S€PA, mais est-ce que celle-ci répond à la réglementation, à la norme, aux rulebooks et aux guidelines ? Il faudrait peut-être que je m'en assure !" Et tout cela, dans la préparation de la seconde End-Date : le 1er février 2016 qui verra les paiements de niche que sont le TIP et le télé-règlement disparaître de notre univers, dans une impréparation à peu de choses près semblable.
Pour le TIP, les centres de traitement ont décidé de la migration du TIP traditionnel vers un TIP S€PA, mais le flux électronique TIP, le fameux code opération 70, cessera d’être échangé au profit d’un S€PA Direct Debit CORE (SDD), le prélèvement S€PA classique, dans un séquencement ponctuel, « One Off » tel qu’exprimé en langage S€PA, afin de conserver le côté régulier du TIP…
Pour le télé-règlement, deux sphères en émettent : la sphère fiscale ou sociale, l’Etat, et, la sphère privée. Pour le premier, un projet d’accompagnement et de coordination des créanciers de la sphère fiscale (le trésor public et les douanes) et ceux de la sphère sociale (l’Urssaf, l’Agirc/Arrco, la MSA et le RSI) dans leur migration vers le SDD B2B. Bonne nouvelle, étant donné qu’en l’absence d’une étude de l’existant sérieuse, il a été « oublié » que le télé-règlement était utilisé également par des particuliers pour régler ces mêmes créanciers.
Petit rappel : le B2B est exclusivement réservé aux relations interentreprises (en langage S€PA, seuls les « non consommateurs » peuvent être destinataires du B2B), ce qui exclut automatiquement les particuliers. Ah ! mais comment va-t-on faire ?
Après moult atermoiements, il vient d’être décidé que le B2B adresserait les entreprises, et, que les particuliers se verraient adresser un prélèvement S€PA classique. Une nouvelle question : comment les créanciers vont reconnaître que l’IBAN destinataire est celui d’une entreprise ou celui d’un particulier ? Vaste sujet, assez épineux : prenons le cas d’un entrepreneur individuel n’ayant qu’un compte personnel, lui servant indifféremment pour ses affaires professionnelles et sa vie privée. Au titre de sa profession, les créanciers, émetteurs de télé-règlements, seraient en droit de lui adresser un B2B. Oui, mais la typologie de son compte personnel ne le permet pas, et, réglementairement, entraîne le rejet d’un tel prélèvement. Le seul qui détienne l’information est le prestataire de services de paiements du débiteur. Lui seul est capable de dire que telle typologie de comptes est réservée aux entreprises ou aux particuliers, et, que les B2B reçus sur telle(s) typologie(s) se verront systématiquement rejetés. Un léger manque à gagner, assurément !
Quant aux créanciers de la sphère privée, pour l’instant, « on » espère qu’ils se tiennent informés par eux-mêmes et qu’ils assument eux-mêmes leur propre double migration à l’instar de celle des sphères sociales ou fiscales. Mais pour l’instant, aucun accompagnement, aucune coordination globale n’ont été initiés.
Affaire à suivre…
Philippe Coiffard
Consultant en organisation, expert des Systèmes de Paiements
membre CINOV-IT
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autre article : Le SEPA fait-il courir un risque au chef d’entreprise ?
(le Cercle les Echos, 18/12/2013)