« l’homme réseau-nable » ou le désordre de notre société hyper connectée
Lionel Naccache* nous éclaire sur l’analogie étrange qu’il fait dans son dernier livre « L’homme réseau-nable » entre le « microcosme cérébral » du cerveau humain, et le « macrocosme social » du monde. Quels sont les apports et les limites de cette analogie qui dresse le diagnostic d’une société proche de la « crise d’épilepsie » ? Qui faut-il soigner : la société tendance épileptique ou les individus qui sont de plus en plus nombreux à avoir un égo socialement surdimensionné ?
* Lionel Naccache est neurologue et neurophysiologiste à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière
A l’inverse des sociologues et anthropologues qui étudient la société humaine, Lionel Naccache – en qualité de neurologue – va de l’étude de l’homme à celle de la société : du microcosme cérébral au macrocosme sociétal. En fait, Lionel Naccache part de la structure neuronale du cerveau pour nous aider à comprendre celle des réseaux sociaux qui structurent désormais la société humaine. Il reste lucide sur le fait que le raisonnement par analogie n’est en rien assimilable à une démonstration, il peut toutefois nous offrir de nouvelles clés pour éclairer, voire résoudre, de difficiles énigmes. Mais force est de constater qu’il y a un lien entre ces deux mondes : le fonctionnement de ces cerveaux est affecté par les relations interindividuelles rendues possibles par ces structures sociales.
Lionel Naccache sur France-Inter, vendredi 6 nov. 2015
Lionel Naccache sur France-Culture, samedi 7 oct. 2015
La vie sociale n’est pas née avec Mark Zuckerberg.
Il ne faut pas être sociologue pour constater que la société humaine, pour ne prendre en compte que l’histoire récente des 5 derniers millénaires, est sociale depuis longtemps : l’homme est grégaire.
Nous vivons tous dans différents cercles : la famille, les cultes, l’école, le monde du travail, les associations et syndicats, voire (en tout bien tout honneur) la franc maçonnerie et autres think tank.
Tous ces cercles sociaux sont implicitement ou explicitement régis par des rites, des traditions ou des coutumes. Comme je le souligne à chacune de mes conférences et formations sur l’utilité des réseaux sociaux, la communication est un élément déterminant de l’évolution de notre envergure socialo-géographique dans l’histoire. Tant que le cheval était le seul moyen de locomotion réservé aux Seigneurs, la vie sociale du quidam était limitée à un périmètre de quelques kilomètres autour de son village.
Avec le développement des moyens de transport (le train au 19e siècle et la voiture au 20e) notre envergure socialo-géographique s’est étendue aux départements, aux régions et aux nations. Avec la démocratisation du transport aérien les relations intercontinentales sont devenues relativement banales.
Et, si j’oublie le téléphone, Internet et les réseaux sociaux ont transformé notre petite planète en un grand village, en complexifiant considérablement le maillage des relations interpersonnelles. Maillage qui devient un enjeu majeur sur le pouvoir de l’influence.
Le maillage des réseaux sociaux déstabilise les 4 pouvoirs que sont l’exécutif, le législatif, le judiciaire et les médias ; voire il les affaiblit, j’en veux pour preuve qu’il n’y a plus d’actualités où les journalistes – tous médias confondus – ne font pas référence à Facebook, Twitter ou YouTube pour ne considérer que les majeurs.
Accessoirement, n’oublions pas que les sociétés animales ont, elles aussi, leurs rites et codes sociaux, voire leurs hiérarchies.
Je suis convaincu qu’être « réseau-nable » ne sert pas les intérêts de notre société
Mais le paradoxe de cette socialisation via Internet est que de petites communautés humaines peuvent avoir une grande influence. Trop souvent pour notre malheur, certaines ont un terrible pouvoir de nuisance, notamment parce que la majorité reste trop silencieuse.
Et à ce sujet, je vous invite à écouter le propos de Gérald Bronner (1) sur France Culture, à propos de La société des interdits (L’esprit public, avec Philippe Meyer, le 5 juillet 2015) :
On dit souvent qu’Internet a démocratisé l’information, oui si l’on veut, mais c’est une démocratie où certains votent mille fois et d’autres jamais. Et ceux qui ne votent jamais, je le crains, sont les plus raisonnables de nos concitoyens. Donc, je pense que ces concitoyens doivent prendre toute leur place dans l’espace des réseaux sociaux, des forums, pour pied à pied lutter contre les idées loufoques, déraisonnables voire dangereuses qui se répandent.
(1) Gérald Bronner sociologue français, professeur à l’université Paris Diderot a fait l’objet d’un billet sur mon blog à propos de son excellent livre : La démocratie des crédules.
9 novembre 2015
Merci, Jean-Philippe pour avoir mentionné mon modeste papier.
Comme toujours article pertinent, hyper documenté, j’ai appris plein de choses, d’ailleurs c’était un peu l’idée, non ?
Anne