6 faiblesses et menaces pour les associations professionnelles. Comment les transformer en force, notamment grâce au numérique ?
Pour ce sujet, comme pour toutes organisations où le numérique est incontournable, il faut commencer par bien définir ses objectifs, et faire un état des lieux et des problèmes rencontrés. Et surtout ne pas oublier l’humain qui, pour les associations professionnelles et syndicats métier, est le cœur du réacteur.
Ma vie sociale, relativement intense depuis 20 ans, est riche d’expériences et de problématiques « communication associative » que je souhaite partager avec vous, élus et opérationnels de toutes obédiences. Et, fort de mon métier de consultant-formateur sur les usages du numérique, j’ai à cœur d’alimenter votre réflexion sur l’enjeu majeur de la communication associative (interne et publique), en vous indiquant des pistes et solutions.
Vous trouverez à la fin de cet article, la liste des 12 associations sociales, professionnelles, hobbies et syndicats métiers dont je suis membre
Pourquoi ? Explications en 6 constats humains et techniques
- Premier constat : le monde social, et plus particulièrement syndical, est en pleine disruption
- Deuxième constat : le bénévolat des élus est la règle… mais pour combien de temps encore
- Troisième constat : solutions numériques et digitales : Rien n’est simple, Tout se complique
- Quatrième constat : la communication interne et le travail collaboratif des élus
- Cinquième constat : rupture générationnelle
- Sixième constat : être victime de la loi de Brooks
Premier constat : le monde social, et plus particulièrement syndical, est en pleine disruption
Cette courbe de la DARES en est la preuve flagrante. Et plus encore 3 séries d’évènements que sont le Mouvement des Bonnets rouges né en Bretagne en octobre 2013, le tsunami des législatives de 2017 qui a dévasté les (ex) grands partis politiques et les affaires qui décrédibilisent quelques syndicats, sachant que toutes les obédiences syndicales sont touchées : patronaux et salariés.
Autre graphique objectif : historique des recherches Google sur 5 syndicats majeurs (classés dans l’ordre alphabétique par soucis de neutralité, et compte tenu de l’historique de ce graphique j’ai privilégié CGPME à CPME)
La disruption sociale est en marche depuis 10 ans à cause… des réseaux sociaux, à commencer par Facebook ! Car avant Internet et le web 2.0, les partis politiques, les syndicats et les associations étaient le seul moyen de fédérer les opinions et de s’organiser pour défendre des intérêts idéologiques ou professionnels. Inéluctablement, des associations « clubs services » comme le Rotary, le Lions club et bien d’autres constatent un vieillissement et une réduction de leur nombre d’adhérents (sans oublier qu’il y a aussi un choix de + en + important d’associations de toutes natures : sportives, loisirs, culturelles, hobbies, .etc.).
Cette désaffection est un mal profond, car tous ces groupes sociaux historiques n’ont pas vu l’évolution de notre société – évolution mondiale pas uniquement en France – et ce graphique sur les méthodes de communication par tranches d’âges l’illustre mieux qu’une thèse de 300 pages.
Deuxième constat : le bénévolat des élus est la règle… mais pour combien de temps encore
Particulièrement dans les domaines des entrepreneurs, que ce soit pour les associations ou pour les syndicats métiers, les groupements des grandes entreprises (MEDEF, Syntec …) le montant des cotisations est relativement important et il est relativement facile pour les grandes entreprises adhérentes de déléguer quelques ressources humaines pour faire fonctionner la machine syndicale. Pour les syndicats d’indépendants, de TPE et PME (CPME, UNAPL) il en est tout autre car les patrons de ces entreprises sont multitâches et aux 35 heures… de sommeil par semaine ! Certains entrepreneurs consacrent un peu de leur temps en qualité de bénévole, mais nous sommes tous confrontés à l’équation impossible de la quadrature du cercle entre temps de travail et bénévolat. Aussi, il y a un moment où nos priorités nous obligent à lâcher le bénévolat pour « faire bouillir la marmite ». Retenez que dans tous les « réseaux sociaux terrain », c’est comme dans les réseaux sociaux 2.0 : 90% sont passifs, 9 % son des actifs qui likent, commentent et partagent, et 1% d’engagés : les élus membres des CA (les blogueurs dans le 2.0).
Pour cette raison, dans les syndicats d’entrepreneurs indépendants, TPE et PME, l’indemnisation des élus est de plus en plus souvent évoqués… Je n’ai pas de réponse à vous servir, mais les pistes de réflexions et hypothèses de solutions possibles sont nombreuses. Mais ça passe indéniablement par l’animation terrain pour que la dynamique des groupes sociaux passent à la vitesse supérieure et entraînent une augmentation des adhésions beaucoup plus importante, car qui dit plus d’adhérents = plus de moyens.
note : j’aborderai dans un prochain article l’importance de l’animation (socialisation) terrain.
Troisième constat : solutions numériques et digitales : Rien n’est simple, Tout se complique*
* en l’honneur de ces 2 albums mythiques de Sempé « Rien n’est simple » (1962), « Tout se complique » (1963), et fort du sujet de cet article, je ne résiste pas à vous soumettre ce dessin issu d’un de ces albums 😉
On croit encore trop souvent, en écoutant la perverse chaine d’info continue BFM, que le numérique est la solution à tous les maux. Que nenni ! C’est plus souvent un piège qu’une solution, et il suffit de lire ce propos de Michel Volle (extrait de la préface du livre Expression des besoins pour le SI) pour vous en convaincre :
D’après le Standish Group, les projets informatiques connaissent un taux d’échec qui ne saurait être toléré dans aucun autre domaine de l’ingénierie : de ses enquêtes, on peut retenir qu’en gros 25 % des projets échouent, 50 % aboutissent avec un délai et un coût très supérieurs à la prévision, 25 % seulement sont convenablement réussis. En cas d’échec, on entend souvent dire « c’est la faute de l’informatique » […/…] Une expression de besoin bien faite garantit le succès ou du moins (car on ne peut jamais se prémunir contre toutes les surprises) une probabilité de succès de l’ordre de 90 % : on mesure l’enjeu si l’on compare ce taux aux données du Standish Group.
Vous l’avez compris, la technique seule n’est pas la solution, il faut impérativement bien poser le problème, les enjeux et ne pas mettre la charrue avant les bœufs (i.e. mettre en place un CRM pour recruter des adhérents ne sert à rien si vous ne commencez pas par bien vous occuper des adhérents à jour de cotisation…).
Trois conseils :
- ne commencez pas par choisir des solutions techniques sans avoir défini vos objectifs opérationnels,
- faites vous accompagner par des experts du sujet ou – à minima – profitez de l’expérience de vos confrères pour éviter bien des erreurs.
- la simplicité sera votre meilleur allié, que ce soit pour le choix des outils et pour vos méthodes de travail collaboratif, à distance.
Quatrième constat : la communication interne et le travail collaboratif des élus
Il n’y a pas 2 élus qui ont la même boîte à outils numériques, les mêmes méthodes de travail, les mêmes usages du digital, la même culture (cf. codes de langage) et le même niveau de connaissance de la complexité du digital. Il faut aussi se méfier de 2 gros défauts :
- Par nature, on se méfie de ce que l’on ne maitrise pas. A titre d’exemple, vers 1840 au début de l’histoire du chemin de fer, certains recommandaient aux femmes enceintes de ne pas prendre le train car elles seront victimes d’une fausse-couche à cause de la vitesse. Et bien pour le numérique et le digital il en est de même, cas courant : ceux qui ne pratiquent pas les réseaux sociaux sont souvent ceux qui les décrient le plus et en disent pis que pendre !
- Un défaut humain naturel inconscient et très influent : je vois midi à ma fenêtre, autrement dit « je pense que tout le monde utilise l’informatique comme moi » ; cette pensée est la source de beaucoup de dégâts.
Cinquième constat : rupture générationnelle
L’illustration précédente « Communication Methods by Ages » nous démontre aussi qu’un des enjeux majeurs des toutes nos organisations sociales est de rapprocher les générations. Je suis conscient qu’il s’agit d’une tâche titanesque, sachant que les moins de 30 ans ont une propension à être startuper, qu’entre 25 et 45 ans nous sommes concentrés sur nos enfants et notre carrière. Bref, on commence à s’occuper de notre vie sociale à partir de 50 piges … Rien de nouveau sous le soleil. Mais, comme je m’échine à le défendre depuis longtemps : les jeunes ont la souplesse du roseau et les anciens la sagesse du chêne ; les 2 assemblés sont une source de progrès incroyable pour les entreprises . Les métiers du compagnonnage nous le démontrent depuis longtemps, ce n’est pas sans raison que des associations comme CGENIAL et énergies JEUNES connaissent un beau succès.
Alors sachons attirer les jeunes générations, en leur cédant des mandats auxquels s’accrochent trop souvent les vétérans, pour en faire des acteurs engagés. Ne pas relever ce défi contribuera à l’extinction des syndicats métier et des associations professionnelles, tels les dinosaures de l’ère du Jurassique.
Certaines associations professionnelles comme Talents du Numérique et l’Institut G9+ nous démontrent que la diversité multi-générations est une dynamique gagnante. Il faut dire que dans les métiers de ces deux associations (i.e. : numérique et digital) les startups et ESN ont beaucoup d’intérêts à se connaître ! Notez que le point commun de TdN et G9+ est de réunir 3 populations : TPE/PME, grandes entreprises et étudiants via les écoles d’ingénieurs.
Sixième constat : être victime de la loi de Brooks
Plus que dans les entreprises, bon nombre d’associations et de syndicats sont soumis à un turnover brownien qui rend difficile des actions cohérentes et suivies dans la durée. Les entrées/sorties d’élus-contributeurs complexifient les stratégies des associations pros ou du syndicat métier et le fonctionnement des commissions.
Nous sommes clairement dans des zones de turbulences typiques de la loi de Brooks : « Modifier les acteurs d’un projet génère, voire augmente les retards » et plus il y a d’acteurs, plus les échanges et débats deviennent compliqués. Et pour peu qu’il y ait autant de diversité dans les outils collaboratifs, qu’il y a d’acteurs (élus), on finit par se retrouver dans une belle usine à gaz !
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Quels outils et solutions collaboratives pour le travail interne ?
Quels outils pour la communication publique ?
Articles et documents qui ont alimenté ma veille à ce sujet :
- La loi de Brooks ou pourquoi la multiplication des collaborateurs fait perdre du temps (cadreo, 10 oct. 2017)
- Syndicats et nouvelles technologies : les changements de la loi El Khomri (Les Echos Executives, 21 nov. 2016)
- La syndicalisation en France (DARES analyses, mai 2016) document pdf, 10 pages
- Nouvelles pratiques syndicales et usages des TIC (CURAPP-ESS, CNRS, Université de Picardie, CFDT, décembre 2014) document pdf 127 pages
- Lions clubs, Rotary… Réseauter utile et solidaire (L’express, 28 oct. 2013)
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Liste des associations et syndicats dont je suis simple membre, bénévole-engagé ou membre du CA, voire fondateur ou co-fondateur :
- accompagnateur bénévole des Relais Enfants Parents depuis 2001
- membre des Amis du Musée de la Batellerie de Conflans-Sainte-Honorine (AAMB) et mon blog rivières & canaux que je n’ai malheureusement pas le temps d’alimenter
- membre des Devil’s Brequins (club motards) et ex-secrétaire
- administrateur d’honneur du syndicat CINOV Numérique
- V-Président communication CINOV Ile-de-France
- co-fondateur et ex-secrétaire du think-tank Institut de l’iconomie
- GO des débats-apéritifs du 5 à 7 du conseil et animateur du groupe éponyme LinkedIn
- membre Aventures du Bout du Monde (ABM)
24 novembre 2018
Il est un fait que les constats et analyses qui sont faits ici se retrouvent sur le terrain. Inquiétant : probablement. Inévitables : pas sûr car après un mouvement de balancier dans un sens (du à l’attrait du numérique et du digital), sans doute y aura-t-il un retour dans l’autre sens (raz le bol de l’agitation du digital, du manque de relationnel, de la vacuité ds échanges sur les réseaux…). Nul ne peut en deviner l’ampleur, mais vu le nombre de voix qui s’élèvent pour dénoncer les dérives (effet néfaste sur les jeunes, fuite des internautes des grands réseaux, vecteur de violence et de terrorisme, manipulation de l’opinion) on peut penser qu’une prise de conscience émerge et soit suivie en masse. Je garde espoir
24 novembre 2018
Merci Bernard. Je constate ce « retour du balancier » depuis quelques mois. Personnellement, comme je l’explique dans l’article Sur les réseaux sociaux, appliquons la méthode de Socrate : VRAI, POSITIF et UTILE, j’ai levé le pied depuis l’été 2018, influencé sans nul doute par le livre « L’HOMME NU – La dictature invisible du numérique ».