Débloquer la culture du numérique en France
La semaine dernière, j’ai assisté aux Assises du Numérique 2012 où la majorité des intervenants – à commencer par Louis Gallois et Laurence Parisot – ont tiré la sonnette d’alarme concernant l’adoption du numérique par la société française. A L’occasion de son discours d’introduction des Assises du Numérique 2012, Fleur Pellerin n’a pas été en reste à ce sujet.
Le 13 novembre 2012, dans le cadre de l’annonce du programme gouvernemental de Transition Numérique par Fleur Pellerin au Ministère des Finances, Olivier Midière(1) a souligné qu’en France les entreprises sont bien équipées, mais c’est sur les usages du numérique que se trouve notre talon d’Achille.
Je peux vous citer d’autres évènements auxquels j’ai participé, et où sont faits les mêmes constats et les mêmes recommandations : les entreprises françaises doivent s’investir à marche forcée dans les USAGES du numérique :
- colloque l’identité numérique au cœur des stratégies économiques,
MEDEF, forum Atena, le jeudi 25 octobre 2012 - conférence Xerfi : passer de l’économie à l’iconomie,
Paris Salon des Arts et Métiers, mercredi 19 septembre 2012 - Assemblée Générale CINOV-IT (ex. CICF Informatique),
EPITECH, mercredi 14 juillet2012
Bref, il y a urgence. Et l’excellente édition, ce samedi 1er décembre, de l’émission de France Culture place de la Toile en ajoute une couche.
Fort de mon expérience de consultant-formateur spécialiste des usages du numérique, je me dois de vous faire partager mon analyse sur quelques raisons qui freinent l’usage du numérique en France.
Numérique versus Technologies de l’information
Le numérique(2) est un mot inadapté pour parler de la révolution générée par l’association de l’informatique et d’Internet. L’essentiel de ce que nous appelons le numérique est en fait de « la gestion de l’information ». Le terme anglophone « IT » Information Technology est plus approprié et depuis plus longtemps (3). Le numérique est une technique, alors que les technologies de l’information et plus particulièrement la GESTION de l’INFORMATION est l’enjeu et la valeur ajoutée des entreprises du 21e siècle.
Sclérose de nos dirigeants
A l’occasion des assises du numérique 2012, Pascale Luciani-Boyer(4) a déclaré « je compte sur les doigts de mes 2 mains le nombre de parlementaires compétents sur le numérique ».
La société française est sclérosée par rapport au numérique. Nos décideurs ont réussi dans un système qui n’était pas celui du numérique. Ils sont coupés de l’évolution de la société du numérique et, plus particulièrement, il y a un fossé entre nos décideurs et les jeunes (i.e. : génération Y)
le Numérique dans l’enseignement
Je crois beaucoup au travail intergénérationnel : un professeur de Français n’aurait-il pas avantage a proposer à ses élèves d’apprendre à rédiger au travers d’un blog et qui associerait plusieurs élèves partageant leur intérêt sur un sujet commun. Les élèves auront le plus grand plaisir à apprendre à leur professeur à ce servir d’un blog : la réciprocité de ces apprentissages et la complicité élèves-enseignant qui peut s’en dégager en feront une opération particulièrement riche. Accessoirement, ça permettra de développer le travail collectif, là où l’enseignement à la française privilégie trop la réussite individuelle et sanctionne systématiquement l’échec.
Personnellement, je ne connais pas d’enseignant qui ait appliqué ce modèle, mais s’il y en a, qu’ils n’hésitent pas à me contacter : j’aurai plaisir à faire partager leurs expériences.
Pour alimenter votre réflexion sur le numérique et l’enseignement, rendez-vous sans plus attendre sur le site www.educavox.fr et sur celui de l’AN@E (5)
Numérique, connaissances et enseignement
Ce n’est pas sans raison que les enseignants ont fréquemment décrié Wikipédia, tout simplement parce que leur valeur ajoutée 1.0 était de posséder la connaissance et d’être payés pour la distribuer. Les enseignants qui ont marqué positivement notre parcours scolaire ne sont-ils pas d’abord ceux qui étaient bons pédagogues ? Je suis convaincu que l’enseignement doit réinvestir le terrain de la pédagogie en s’appuyant sur le numérique.
Incompatibilité Numérique et hiérarchie
Avec les nouvelles méthodes de travail générées par le numérique (cf. réseaux sociaux) on n’est plus dans une hiérarchie classique où les décisions sont prises exclusivement par des élites. Les niveaux hiérarchiques sont incompatibles avec la culture numérique. La culture numérique se caractérise par les échanges horizontaux sans barrières ni frontières. C’est un mode de fonctionnement en co-construction et coévolution où différents acteurs peuvent s’unir pour faire des choses qu’ils ne sauraient pas faire seuls. C’est tout le contraire d’une culture élitiste et hiérarchique qui est encore la nôtre.
Numérique et gestion de l’information
Longtemps la rétention d’informations a été une des clés du pouvoir. Le 4ème pouvoir (la presse) n’était-il pas, avant Internet, le point de passage obligé et de filtrage de l’information ? Avec le numérique, le pouvoir appartient à ceux qui partagent le savoir et la connaissance.
En France, la culture de la rétention de l’information est encore très (trop) développée et préjudiciable au développement saint des usages du numérique.
Sur le plan mondial, certains pouvoirs sont déstabilisés par le tsunami du numérique (cf. printemps arabe) au point que désormais le contrôle ne passe plus par la prise des chaines de télévision, mais par la coupure des communications Internet et mobiles à l’exemple de ce qu’a fait la Syrie jeudi dernier 29 novembre.
« le numérique doit être une stratégie prioritaire »
Laurence Parisot sur C politique (la 5) dimanche 2 décembre 2012.
3 décembre 2012
[…] La semaine dernière, j’ai assisté aux Assises du Numérique 2012 où la majorité des intervenants – à commencer par Louis Gallois et Laurence Parisot – ont tiré la sonnette d’alarme concernant l’adoption du numérique par la société française. […]
4 décembre 2012
Bien sur ! Bien sur ! Jean -Philippe à priori on ne peut qu’ approuver ton analyse, mais il ne faudrait pas trop se gausser de notre » exception culturelle « qui est peut être une exceptionnelle résistance à l’ écoeurant « merchandising mondial » d’obédiance anglo- saxonne .
Enfin moi je dis ça ! je suis pas anarcho- alter – mondialiste juste un peu bobo- écolo : mais pas dans le » bizznes » non plus !
Trés amicalement.
Pierre
4 décembre 2012
RE: […] Les niveaux hiérarchiques sont incompatibles avec la culture numérique. […]
Jean-Philippe, ces propos pourraient s’appliquer à quelqu’un que nous connaissons bien…(;-))
D’une manière générale, on sait [1] que les niveaux (relations) hiérarchiques alimentent le sentiment de pouvoir, de statut social ou, au contraire, de rempart (fictif) à la perte du pouvoir / contrôle… Il est clair que la culture numérique tend à aplanir les niveaux hiérarchiques traditionnels en les rééquilibrant au profit d’un système de leadership participatif [2] basé sur d’autres critères, comme l’expertise, le savoir, la créativité, la cohésion, la contribution, etc.
Cependant, ce n’est pas le numérique qui engendre le changement de la structure des organisations mais plutôt l’inverse : il s’agit d’abord d’une prise de conscience managériale sur les bienfaits de « travailler (collaborer) autrement », auquel on superpose alors l’usage de bons outils numériques pour « apporter de l’huile au bon fonctionnement des rouages » organisationnels adaptés mis en place…
C’est la raison pour laquelle bon nombre de projets d’innovation par le numérique échouent quand cette prise de conscience managériale n’est pas adoptée en amont de leur réalisation… (:-((
Bien amicalement,
Jacques Setton
[1] voir par ex. http://droit.univ-lille2.fr/enseignants/villalba/cours_doc/dossier1_2003_MDRH.pdf
[2] voir aussi http://crg.polytechnique.fr/fichiers/crg/perso/fichiers/godelier_378_Command__autorit___2006_.pdf
4 décembre 2012
Bonjour jean-philippe
Merci pour cette excellente analyse. J’ai lu il y a quelques temps une étude de l’institut Montaigne qui remontait les mêmes travers, en mettant particulièrement l’accent sur la quasi absence, au niveau des universités, de formations avancées à la notion de gestion des systèmes d’information.
Nous formons de très brillants chercheurs, d’excellents mathématiciens, parfaitement rompus à l’algorithmique et au développement, mais les notions de gouvernance du SI et de l’information, d’urbanisation, de pilotage restent assez peu présents dans les programmes d’université, et aucune, à ma connaissance, des méthodes d’optimisation, de pilotage ou de bonnes pratiques n’ont pour origine notre beau pays.
Pierre, sans vouloir polémiquer 😉 je ne pense pas que la méconnaissance puisse aider à lutter contre les thèses que tu défend. Je pense pour ma part que l’on ne peut maitriser et contrôler que ce qu’on connait parfaitement.
Cordialement,
Thierry
5 décembre 2012
Merci Thierry de nous rappeler effectivement que l’Institut Montaigne publie des études et analyses remarquables, notamment ce rapport de mai 2011 « Le défi numérique » ou comment renforcer la compétitivité de la France (dont le groupe de travail était présidé par Michel Volle, informaticien et économiste de qualité http://www.volle.com).
Ceci étant dit, un correspondant de la DGCIS (Direction Générale de la Compétitivité, de l’Industrie et des Services) m’a informé par e-mail, suite à ce billet, que Sciences Po lance une série de 6 nouveaux séminaires dédiés au numérique, à l’attention particulière des journalistes et cadres des entreprises de médias, comment mieux appréhender la révolution du numérique ? (pour en savoir plus : http://www.upcrt1.com/openbrowser.php?token=7LXZZMMlSe7PBAqaPnbr). Nous ne pouvons que féliciter le concepteur de ce programme et encourager les pros des médias à s’y inscrire.
Bien amicalement à vous deux
9 décembre 2012
Pierre, ne me fais pas croire que la TICophobie peut encore être un dogme !
Je t’invite à lire le tout récent billet d’un confrère :
Coup de gueule : De la présence du numérique à l’école http://sicestpasmalheureux.com/2012/12/05/coup-de-gueule-de-la-presence-du-numerique-a-lecole/